S.E. Mgr Mansour Gélat, évêque auxiliaire du Patriarcat latin, s'est éteint, au sens littéral du mot, dans la soirée du 19 janvier, à 83 ans.
Frappé d'hémiplégie le 12 janvier, il avait reçu l'onction des malades, dès le lendemain, des mains de S. E. Mgr Le Coadjuteur. S'il n'a plus repris l'usage de sa parole, il a gardé toute sa connaissance jusqu'à la fin. Le 19 au matin, il recevait avec dévotion la Sainte Communion. Des visites de connaissances lui causaient encore une satisfaction visible. Ne pouvant s'exprimer, il faisait passer ses sentiments en gardant dans la sienne et en serrant la main de son visiteur. Dans la soirée, alors qu'il baissait visiblement, il a reçu la visite de S. E. Mgr. le délégué apostolique, S. B. Mgr le patriarche et Mgr le coadjuteur, avec plusieurs prêtres, qui l'ont pieusement assisté à ses derniers instants.
En Mgr Gélat a disparu un authentique missionnaire du Patriarcat. Il était né à Jaffa, le 18 août 1885, d'une des meilleures familles catholiques de cette ville. Après des études au collège des Frères, il entra au petit Séminaire Patriarcal, le 28 août 1896, sous un recteur polonais d'austère mémoire, D. Martin Chwaliszewski. D. Gélat fut ordonné prêtre à Jérusalem, le 21 juin 1908. En 1968, il était donc déjà entré dans l'année de ses noces de diamant sacerdotales.
Il commença sa carrière missionnaire dans le poste le plus éloigné et le plus difficile, Kérak. Il y eut spécialement la charge des deux tribus nomades des Héjazin et des Akasheh. Il comprit immédiatement que leur sédentarisation était la clé de leur progrès à la fois social et religieux ; aussi s'y employa-t-il vigoureusement. Son prédécesseur à Kérak, qui désirait aussi cette sédentarisation de ses ouailles, leur avait partagé le site de Smakieh. C'était une ancienne ruine byzantine, avec des citernes et des monceaux de pierres, dans une conque abritée, sur le bord du désert. Elle appartenait à ces tribus, mais le cheikh des Musulmans voisins s'opposait à leur installation. On profita de la visite pastorale de l'évêque auxiliaire, Mgr Piccardo, en novembre 1909, pour faire cesser le véto des Majalyeh. Une démarche personnelle de l'évêque, un backchich opportun et la pression d'un fonctionnaire turc ami, enlevèrent le morceau. Mais, comme le cheikh des Héjazin ne paraissait pas pressé d'en profiter, le jeune vicaire, D. Gélat, lui ferma sa porte à Kérak tant qu'il n'aurait pas fait démarrer les constructions. Le Bédouin, intelligent, comprit. Il rentra au galop à son campement, sauta de cheval dans sa tente et se mit à en jeter dehors tous les ustensiles, ce qui fit s'attrouper tout le monde. Entrant à fond dans la pensée de son prêtre, le Cheikh apostropha ses gens et leur enjoignit de commencer immédiatement le travail avec lui, chacun sur son lot. Les pierres étaient à pied d'œuvre, pour des murs de pierres sèches. Le Mogeb, assez proche (l'Arnon biblique) fournit, les branchages pour supporter les terrasses de terre. A Noël, Smakieh était bâtie: un petit groupe de maisons très primitives en pierres sèches colmatées de boue, avec une seule ouverture, la porte. En les fixant ainsi, au moins pour les mois d'hiver, D. Gélat put exercer sur ses fidèles une influence plus sérieuse.
L'année suivante, cependant, on fit de lui le curé d'Ajloun et d'Anjara dans le nord de la Transjordanie. Mais en 1912, il accepta très apostoliquement de renoncer à son poste plus confortable pour devenir le premier curé résident de Smakieh. II y fut reçu avec de grandes démonstrations de joie, le 28 juin 1912. Une famille se remit sous la tente pour l'accueillir dans sa maison, une simple chambre qui lui servit d'habitation, d'école et de chapelle. Le lit, exhaussé d'une caisse, fournissait la table ou l'autel. Mais le dévouement même du jeune curé à ses Bédouins causa bien vite son éloignement. Il n'hésita pas en effet à remuer efficacement les plus hautes autorités pour faire respecter ses paroissiens molestés par des voisins prépotents. Ses démarches eurent gain de cause. Mais on craignit pour lui la rancune du Gouverneur de Kérak. S.B. Mgr Camassei voulut le mettre à l'abri et lui confia le poste plus paisible d'Aboud.
La guerre de 1914 vint bien vite troubler sa tranquillité. Les hommes d'Aboud furent tous réquisitionnés pour de durs travaux d'auxiliaires. Le Moudir, un digne homme et ami du curé, reçut l'ordre de lui fermer ses écoles. « Donnez-moi seulement les clés », lui dit-il et, celles-ci en poche, il se tint quitte d'avoir rempli son devoir. En 1916, Mgr Camassei dut envoyer D. Gélat à Gifneh dont le missionnaire venait de mourir. Lors de l'avance anglaise de novembre 1917, le général turc Ismet Inonou, plus tard président de la République turque, réquisitionna le presbytère de D. Gélat pour son état-major, offrant de réserver pour le curé la maison du village qu'il choisirait. D. Gélat refusa et prit logement chez un paroissien. Ayant appris que tous les habitants allaient être déportés vers le Nord, le curé les conduisit de nuit, le 19 janvier 1918, vers les lignes anglaises de Ramallah. Lorsqu'il rentra à Gifneh avec ses gens, pour Pâques, après la retraite des Turcs, il trouva le presbytère pillé comme le reste du village et l'église éventrée par un obus.
De 1919 à 1923, on l'envoya à Salt où il eut aussi à panser les blessures de la mission. Les fidèles avaient dû fuir en 1918 en réfugiés et tout aussi fut pillé. À Salt, D. Gélat eut pour confrère melkite D. Michel Assaf qui fut aussitôt son ami. Le passage de D. Gélat à Naplouse, de 1923 à 1929, fut marqué par la construction de la nouvelle mission sur les pentes du mont Garizim. En 1929, D. Gélat était nommé chanoine du Saint-Sépulcre et curé de Ramallah dont il transforma très heureusement l'Église. Il envoya de là au petit séminaire deux enfants. Georges Bateh et Georges Saba.
En mai 1935, promu camérier secret de Sa Sainteté et vicaire patriarcal d'Amman, il prenait en charge les missions de Transjordanie, présidant avec sagesse au travail apostolique d'une remarquable équipe de jeunes missionnaires très actifs. À Amman, il gagna aussitôt l'estime et l'amitié du souverain, l'Emir Abdallah II. Il marqua aussi son passage en agrandissant, fort heureusement, les installations du vicariat. En juin 1940, lors d'une réorganisation générale du personnel patriarcal, nécessitée par la guerre, S.B. Mgr Barassina appela Mgr Gélat à la curie et lui confia le tribunal ecclésiastique.
Mgr Barlassina mourut le 27 septembre 1947. Le 13 octobre suivant, le Saint-Siège nommait Mgr Gélat Administrateur apostolique du diocèse. Le moment était des plus critiques. Le vote du 29 novembre de cette année à l'ONU, décidant le partage de la Palestine, y ouvrait aussitôt une période de guerre larvée. Au début de 1948 et surtout à la fin du mandat, en mai, ce fut la guerre tout court et le drame des réfugiés palestiniens. Mgr Gélat donna aussitôt la mesure de son grand cœur et l'exemple de la charité catholique. II livra le rez-de-chaussée du Patriarcat à des familles de sinistrés et accueillit aux divans de l'étage les religieuses de Marie Réparatrice dont le couvent avait été incendié.
Lors de la première trève imposée par les Nations Unies, du 11 juin au 9 juillet 1948, on apprit avec bonheur en Palestine que le Saint-Siège avait nommé, le 12 avril précédent, Mgr Gélat évêque titulaire de Ménoïs. S.E. Mgr Testa, arrivé comme Régent du Patriarcat, le sacra à la concathédrale, le 27 juin, pendant la trève. Quelques jours après, les hostilités reprirent très violentes à Jérusalem. Le Patriarcat, situé en toute première ligne, contre le rempart, était sans cesse ébranlé par les déflagrations de mines et les obus de mortier. S.E. Mgr Gélat y demeura à son poste, donnant à tous l'exemple et le réconfort de son tranquille courage.
Le 18 février 1950, Mgr Gélat avait la joie d'accueillir S.B. Mgr Albert Gori, le nouveau Patriarche. Devenu son auxiliaire et son vicaire général, il allait le faire profiter pendant 18 ans de son grand bon sens et de son expérience exceptionnelle de toutes les réalités du Patriarcat. Tant que sa santé le lui a permis, il s'est toujours prêté avec goût et grand cœur pour les cérémonies dans le diocèse. Lors de sa promotion épiscopale, il avait mis le Saint-Sépulcre dans ses armoiries Il a eu toujours, en effet, une touchante dévotion à ce premier sanctuaire de la Chrétienté. Jusqu'en 1957, où sa santé déclina, il allait chaque matin célébrer sa messe au Calvaire et plus longtemps encore, il fut fidèle à prendre part, dans l'après-midi, à la procession quotidienne des Franciscains dans la basilique.
Le 21 juin 1958, il eut la joie de célébrer ses noces d'or sacerdotales à la concathédrale, fêté par tout le clergé, le patriarche en tête, et une magnifique couronne de missionnaires. Avec l'âge, vinrent les infirmités qui finirent par l'empêcher de quitter le Patriarcat et puis sa chambre. Il n'eut donc pas la consolation d'aller prendre part à Rome au Concile œcuménique. En novembre 1966, il put cependant suivre quelques séances de la CELRA, la Conférence épiscopale, tenues au Patriarcat même. Les derniers mois. Mgr Gélat ne quittait plus sa chambre et son bureau, ne pouvant même plus célébrer la messe. Il restait cependant en possession de toutes ses facultés, même de sa mémoire peu ordinaire qui faisait de lui l'archive vivante d'une époque désormais révolue du Patriarcat, II pouvait en évoquer avec une fidélité et une précision étonnantes les anciennes figures disparues et l'histoire si tourmentée pendant les guerres de 1914, de 1940 et 1948. II aura encore vécu celle de juin 1967, toute brève, mais violente à Jérusalem, avec le combat dramatique qui se livra tout à la fin, à l'ancien séminaire, contigu au Patriarcat.
Le Seigneur aura trouvé Mgr Gélat admirablement préparé à son appel, après 60 ans de sacerdoce et 20 ans d'épiscopat. Il s'en est allé vers son maître, paisiblement, sans une plainte, bien qu'une semaine de paralysie eût déjà réduit son dos en une plaie, sans témoigner d'appréhension, soutenu par sa piété virile, mais aussi le chapelet dans sa main valide. Admirablement soigné par les Sœurs de Sainte Dorothée, il a été réconforté, en ses derniers instants par S.E. Mgr le Délégué lui apportant sa bénédiction et par la présence fraternelle du Patriarche, de Mgr le Coadjuteur, et de plusieurs prêtres.
Ses funérailles ont eu lieu le dimanche 21 janvier à 11 heures pour laisser le temps à S.E. Mgr Simaan d'Amman et aux curés d'arriver à la cathédrale. S.B. Mgr le patriarche a célébré la messe ponticale de requiem, chantée par le grand séminaire, avec l'assistance complète qui emplissait la cathédrale. Aux stalles avaient pris place 6 évêques catholiques : L.L. E.E. Sépinski, Capucci, Pasini, Beltritti, Simaan, Kaldany, et 5 évêques des confessions séparées, ainsi que le Rév.me P. Abbé de Latroun et les vicaires orientaux unis. Dans l'assistance, tous les supérieurs des communautés religieuses, des fidèles de toute confession et quelques parents du défunt. Celui-ci reposait, découvert, exposé pour une dernière fois à la vénération des siens. Mgr Bateh, son petit séminariste de 1931, puis son successeur à Smakieh et au tribunal ecclésiastique, a évoqué, avec précision et chaleur, la belle carrière apostolique du défunt. Les absoutes ont été données par S.B. et L.L. E. E. Sépinski, Capucci, Pasini, Simaan. Ceux qui connaissaient Mgr Gélat ont été heureux de cet hommage si solennel et si unanime rendu au vieil évêque qui aimait tant les belles cérémonies liturgiques.
II a été enseveli ensuite pieusement, dans l'intimité, par les prêtres du Patriarcat même, sous la chapelle du Saint-Sacrement, à côté de deux de ses prédécesseurs, évêques auxiliaires du Patriarcat, Mgr Appodia (1834-1901) et Mgr Fellinger (1865-1940).
De Transjordanie, dont Mgr Gélat fut Vicaire patriarcal, ont pu venir avec l'évêque Mgr Simaan, qui lui succéda en 1940, D. Georges Saba, son petit séminariste de 1933, et D. Raouf Najjar, curé de l'Annonciation à Amman. Le vendredi 26 janvier, Amman a rendu hommage à son ancien curé et vicaire patriarcal. S.E. Mgr Siman a célébré une messe pontificale de requiem à l'église de l'Annonciation du Vicariat ; y ont assisté presque tous les missionnaires de Transjordanie, les communautés religieuses et tout particulièrement les Sœurs du Rosaire, les fidèles d'Amman, un député et un ministre catholiques, M.M. Saba Akasheh et Bichara Ghassib. C'est l'ancien confrère de Mgr Gélat à Salt, S.E. Mgr Michel Assal, archevêque melkite de Transjordanie, qui a tenu à prononcer, avec tout son cœur, l'oraison funèbre de son vieil ami, devant cette fervente assistance. Des services ont été célébrés aussi, en fidèle reconnaissance, dans les autres paroisses où s'était dévoué ce valeureux missionnaire qui aura fait tout honneur au Patriarcat.