Ancien Régent du Patriarcat latin
S. Em. le cardinal Gustave Testa était rappelé à Dieu le 28 février dernier, à 83 ans, au terme d'une longue vie toute consacrée au service de l'Église. Délégué apostolique de Terre Sainte pendant 19 ans, il eût déjà mérité à ce titre une mention dans cette revue. Mais la Providence fit encore de lui, au moment bien tragique de 1948, le Régent du Patriarcat latin, pendant la longue vacances entre la mort de Mgr Barlassina et l'arrivée de Mgr Gori. C'est à ce titre, surtout, pour avoir présidé pendant 28 mois à la destinée du Patriarcat latin, en une période très troublée de son existence, que S. E. le cardinal Testa a droit ici à un témoignage de reconnaissance. Nous sommes heureux de le lui rendre en évoquant les étapes de sa longue carrière ecclésiastique.
Le Délégué Apostolique
Né à Boltiere dans le diocèse de Bergame, le 18 juillet 1886, il fut ordonné prêtre le 18 octobre 1910. À son ordination, il eut pour cérérononiaire D. Angelo Roncalli, professeur au séminaire et secrétaire de l'évêque. Une cordiale amitié devait les unir toute leur vie.
- Testa alla prendre une licence de théologie à l'Apollinaire de Rome, puis suivit trois ans les cours de l'Institut Biblique, couronnant ce stage par une licence biblique et un voyage en Terre Sainte, en décembre 1913. Après une troisième licence en paléographie en 1914, il alla enseigner l'Écriture Sainte au grand séminaire de Bergame jusqu'en 1920.
En 1921, en même temps que son ami D. Angelo Roncalli, il commença sa carrière diplomatique, débutant comme secrétaire, à la nonciature de Vienne. Après une année de mission dans la Ruhr, il fut minutant à la Secrétairerie d'État, auditeur en 1927 à la nonciature de Munich sous les ordres du nonce Pacelli, membre en 1929 de la commission qui prépara les accords du Latran, puis premier conseiller à la nonciature auprès du Quirinal, en juin 1929 ; enfin chargé de mission à nouveau dans la Sarre pour le plébiscite de 1933.
Élu archevêque titulaire d'Amasée, le 15 juin 1934, et consacré à Bergame par le cardinal Schuster de Milan, Mgr Testa fut nommé délégué apostolique au Caire pour l'Égypte, l'Érythrée, l'Abyssinie, la Palestine et la Transjordanie. En résidence normale au Caire, il passait les mois d'été à Jérusalem où restait en permanence un de ses secrétaires.
En 1942, au moment de la menace de Rommel sur l'Égypte, Mgr Testa dut rentrer à Rome. Il allait y rester 6 ans, y travaillant à la Secrétairerie d'État, tout en gardant son titre de Délégué apostolique. En 1948, il devait rentrer en Palestine pour reprendre sa charge. Mais comme le siège patriarcal était vacant par suite de la mort du patriarche Mgr Barlassina, survenue en septembre 1947, Mgr Testa fut nommé aussi par le Saint-Siège Régent du Patriarcat Latin.
Il arrivait par la Transjordanie le 27 mai suivant pour reprendre à Jérusalem ses fonctions de délégué et de régent. La Délégation apostolique de Terre sainte avait été disjointe de celle d'Égypte qui devenait alors internonciature. Mais à Jérusalem, le Délégué ne retrouvait plus sa résidence. Cette demeure, confortable et paisible, s'était malheureusement trouvée en première ligne. Elle fut détruite par les mines, pendant les violents combats qui se livrèrent en 1948 sur le mont Sion.
Mgr Testa arriva à Jérusalem le 18 juin 1948, pendant la trève imposée par les Nations unies aux Juifs et aux Arabes, du 11 juin au 9 juillet. Le 27 juin, à la concathédrale du Patriarcat, le délégué sacra Mgr Vincent Gélat (1885-1968), promu évêque titulaire de Ménoïs et qui devenait son auxiliaire. Mgr Testa ne resta que quelques jours au Patriarcat, dont le rez-de-chaussée était occupé alors par des réfugiés. Le 4 juillet, avant la reprise des hostilités, il quitta Jérusalem pour prendre logement au couvent franciscain de Bethléem. De fait, la reprise des hostilités, le 9 juillet, rendit la vieille ville de Jérusalem, battue par les projectiles juifs, dangereuse d'accès depuis le reste du diocèse. À Pâques 1949, après que l'armistice jordano-israélien du 3 avril eût ramené la tranquillité, Mgr Testa vint s'installer au Patriarcat avec les Frères de la Sainte Croix qui constituaient son personnel. Comme on était à l'étroit au Patriarcat, il entama des démarches à Rome pour récupérer l'ancien séminaire contigu. Mgr Barlassina, à court d'argent, l'avait vendu en 1947 aux Frères des écoles chrétiennes, soucieux de mettre au large leur collège voisin. Ce fut l'Ordre du Saint-Sépulcre qui racheta l'immeuble pour le Patriarcat, après que S. B. Mgr Gori fut entré en charge. Mais en même temps, les réfugiés avaient quitté le rez-de-chaussée, libérant ses locaux nécessaires pour l'administration.
Mgr Testa allait rester encore trois ans comme délégué patriarcal au Patriarcat, jusqu'à sa nomination à Berne en février 1953.
Le Régent du Patriarcat latin
Pie XII, en renvoyant Mgr Testa à Jérusalem, l'avait nommé aussi Régent du Patriarcat latin, le 24 avril 1948. Mgr Gélat avait bien été fait administrateur apostolique du diocèse dès le 3 octobre 1947, quelques jours après le décès de Mgr Barlassina. Mais la situation en Palestine demandait une autorité plus importante pendant la vacance patriarcale. Le vote du 29 novembre 1947, aux Nations Unies, pour le partage de la Palestine, avait en effet créé un état de guerre larvée qui devint officielle du 15 mai au 1er juin 1948 et reprit du 9 au 18 juillet.
En entrant en fonctions à l'un des moments les plus dramatiques qu'ait connus la Terre sainte, le Régent arrivait, du fait de son séjour antécédent en Palestine, muni d'une expérience précieuse du pays et de ses problèmes. Il déçut cependant des personnes qui eussent attendu de lui des interventions spectaculaires dans des conjonctures si extraordinaires. Mais la diplomatie bruyante était bien le genre le plus contraire au tempérament calme de Mgr Testa et aussi à sa conviction que l'action ne perd rien de son efficacité à rester discrète.
Il recevait le diocèse à un moment crucial. Même avant son arrivée, dès le mois de mai 1948, les paroisses de Beisan, Tibériade et Mujeidel avaient été anéanties par l'exode de tous leurs fidèles ; en très grande partie aussi celles de Jaffa, Ramleh et Jérusalem nouvelle. Lors de la reprise des combats, le 9 juillet 1948, la paroisse de Lydda disparaissait aussi entièrement, fidèles et installations ; celle d'Ain Karem perdait tous ses fidèles.
En même temps, des multitudes de réfugiés avaient été jetés, dans un total dénuement, sur les routes ou dans des camps de fortune. Les curés du Patriarcat latin avaient ouvert toutes grandes, à ces malheureux, les portes de leurs écoles et presbytères, tout comme Mgr Gélat l'avait fait au Patriarcat même. Le Régent approuva ces initiatives généreuses. Pour aider ses prêtres dans une œuvre d'assistance dont l'envergure dépassait trop leurs faibles ressources, il organisa un premier comité de secours, s'adressant même aux évêques du dehors.
Il constata alors par lui-même les conditions de vie très difficiles des missionnaires qui s'étaient trouvés subitement aux prises avec des obligations impérieuses de charité envers tant de malheureux. Lui, diplomate chevronné, il n'hésita pas alors à recourir directement à Pie XII. Le Pape, qui avait gardé son amitié et sa confiance à son ancien secrétaire à Munich, le secourut aussitôt. Le Régent put ainsi relever le traitement de ces prêtres dont il admirait le dévouement apostolique. Les missionnaires, d'abord intimidés par sa puissante personnalité, sa réserve naturelle, ses yeux si vifs qui semblaient pénétrer ses interlocuteurs, furent ensuite conquis par sa compréhension, sa spirituelle et charmante bonhommie. Son esprit surnaturel et son souci de la vie intérieure de ses prêtres lui firent bien vite organiser, à Amman et Jérusalem, des recollections sacerdotales dont les missionnaires apprécièrent l'utilité spirituelle et dont ils lui surent gré.
Mgr Testa laissa aussi des traces matérielles durables de son passage.C'est pendant sa régence que fut ouverte la paroisse de Lrbed, puis celle de Zerka. C'est aussi grâce à son appui résolu que le curé de Lydda, qui avait tout perdu en 1948, put refaire à neuf les vieilles installations de la mission du village des pasteurs, Beit Sahour, avec son église, son presbytère, écoles et maison des sœurs. Taybeh dut à Mgr Testa son clocher et l'étage du presbytère, bâti pour mettre au large les écoles ; Birzeit, la reprise des travaux de son école. D'autres missions gardent aussi le témoignage concret de la générosité du Régent : ainsi l'église de Mafrak qui lui doit ses trois autels ; l'église de Madaba, son toit de tuiles ; Ajloun, en partie son clocher ; Anjara aussi, en partie, la construction de son église. Au Patriarcat même, dès l'annonce de la nomination du nouveau Patriarche, il eut l'attention de lui faire aménager des appartements plus convenables que l'ancienne installation trop vétuste.
Le délégué apostolique, Mgr Testa, avait pu paraître avoir parfois des préventions contre le Patriarcat latin. Mais une fois devenu Régent, et entré en contact avec les missionnaires il ne tarda pas à les apprécier en les voyant à l'œuvre en une heure de vérité.
Aimé loyal, Mgr Testa n'hésita pas alors à se « compromettre » pour ses prêtres et le Patriarcat. Il ne se faisait aucune illusion sur les conséquences de sa prise de position. Il était trop intelligent pour cela : son ancien secrétaire puis son successeur, Mgr Oddi, le disait la meilleure tête de la diplomatie pontificale. Mgr Testa confiait lui-même un jour à un confident, avec lucidité et détachement : « Je n'ai pas d'ambitions. » Je sais que j'ai fini ma carrière. Cela me permet de dire ce que je pense à mes supérieurs et de faire sans crainte ce que je crois mon devoir. Mais la Providence, puis l'amitié et la sagesse de Jean XXIII, devaient récompenser ce haut caractère en lui ménageant une fin de carrière inespérée.
Le dernier acte du Régent fut de découvrir et de faire monter sur le siège de Jérusalem le nouveau patriarche, S. B. Mgr Gori. Mgr Testa l'accueillit avec très grande satisfaction, le 18 février 1950, au Patriarcat. Lui-même, d'ailleurs, resta encore trois ans à titre de Délégué apostolique, conseiller et soutien résolu du nouveau patriarche.
Le cardinal
En février 1953, Mgr Testa était nommé nonce à Berne en Suisse. Il y resta 6 ans. Au moment où il songeait à prendre une studieuse retraite dans une œuvre d'assistance qu'il avait fondée au diocèse de Bergame, son ami Angelo Roncalli devenait Pape. Jean XXIII, cœur fidèle, n'eut garde de laisser perdre pour l'Église les grandes ressources que représentait Mgr Testa. Il le nomma cardinal le 14 décembre 1959 et le nomma bientôt président de la commission pour l'organisation du Concile. Comme le cardinal Testa savait l'allemand, Jean XXIII en fit son légat au Congrès eucharistique international de Munich en juillet-août 1960. Le Patriarche Gori et Mgr Siman y constatèrent avec plaisir la chaleur du souvenir et de l'affection que le cardinal légat gardait au Patriarcat.
Après la mort prématurée du cardinal Coussa en juillet 1962, c'est au cardinal Testa, bon connaisseur des choses d'Orient, que Jean XXIII confia la sacrée Congrégation de l'Église orientale. En lui, on savait pouvoir compter sur un préfet bien informé, bienveillant, mais toujours scrupuleusement impartial. À Rome, il résidait désormais au Vatican, au deuxième étage d'un vieux palsis restauré et modernisé, tout près du chevet de Saint-Pierre, toujours assisté par les mêmes Frères Franciscains qu'à Jérusalem. C'est là, en dehors des réceptions officielles de l'Orientale, qu'il accueillait avec une extrême amabilité, sa toute spirituelle bonhommie aussi, ses amis de Terre sainte pendant le Concile. Il était le moins triomphaliste des cardinaux romains, toujours strictement en noir chez lui, sans aucun liseré de couleur prélatice. Il gardait une mémoire d'une étonnante fraîcheur et précision sur personnes et choses de Terre sainte qu'il évoquait toujours avec plaisir et saveur.
Il revint en Palestine en janvier 1964, accompagnant partout le Pape pèlerin. Mais dans sa fidélité touchante, il tint à retrouver au Patriarcat, pour ces deux jours, sa chambre de Régent et à se replonger ainsi dans le cadre et le souvenir des jours dramatiques de sa vie.
Atteint bien largement par la nouvelle limite d'âge ecclésiastique, le cardinal Testa avait, dans sa liberté totale d'esprit et son souci de donner l'exemple, offert au pape sa démission de Préfet de l'Orientale. Au début de 1968 seulement, Paul VI l'acceptait et lui donnait pour successeur le cardinal de Furstenberg. Puis la maladie est venue. Un infarctus et une pneumonie ont fini par avoir raison de sa forte constitution. Réconforté par une visite du Saint-Père, il a été assisté dans ses derniers instants par ses fidèles frères franciscains de la Croix et aussi des membres de sa famille, accourus de Bergame. Il rendait son âme à Dieu dans la soirée du 28 février. Ses restes ont été ensevelis au sanctuaire de Santa Grata à Bergame.
À Jérusalem, S.B. Mgr Gori recommandait aussitôt l'âme du Cardinal aux prières reconnaissantes de tout le clergé et des institutions du Diocèse. À la fin de 1949, Mgr Testa avait encouragé Mgr Beltritti, dont il avait fait son chancelier, à faire reparaître le « Moniteur diocésain », devenu par la suite Jérusalem. C'est donc un pieux devoir personnel de gratitude que nous remplissons en évoquant ici pour nos lecteurs la figure imposante mais sympathique du cardinal défunt. À une heure bien critique de l'histoire de la Terre sainte, il a pris les rênes du diocèse patriarcal et l'a gouverné avec intelligence et sagesse. C'est donc avec une affectueuse reconnaissance que nous lui rendons ici un hommage qui lui était bien dû.