Sainte Messe de minuit – Noël 2021
Très chers frères et sœurs,
Révérendissimes Excellences,
Monsieur le Premier ministre,
Excellences et très Chers invités,
Que le Seigneur vous donne la paix !
Les célébrations de Noël sont certainement plus joyeuses cette année que l'année dernière. Aujourd'hui, les fidèles se pressent dans notre église et la ville est en fête. Par rapport à Noël 2020, les participants sont beaucoup plus nombreux et c'est un signe encourageant. Evidemment, il nous manque encore quelque chose pour que les réjouissances soient totales. Pour la deuxième année consécutive, nous sommes en effet privés de la présence des pèlerins, qui n’ont pas pu nous rejoindre en raison d’une crise sanitaire plus longue que ce que nous imaginions au début. Nous prions pour eux et nous leur demandons de prier pour nous, afin que cette pandémie se termine bientôt et que la ville de Bethléem soit de nouveau remplie de pèlerins, comme auparavant. Nous prions également pour que la joie revienne au sein des nombreuses familles qui subsistent grâce aux pèlerinages et qui, à cause de la crise sanitaire, sont sans travail depuis plus de deux ans et vivent une situation de plus en plus difficile. Nous espérons qu'avec une action conjointe des politiques, de l'Église et des voyagistes, qu’ils soient locaux ou internationaux, nous trouverons des moyens sûrs de reprendre ces activités, malgré la pandémie. C'est vraiment nécessaire !
J’aimerais remercier le Seigneur et tous ceux qui ont permis à certains membres de notre communauté chrétienne de Gaza de pouvoir être avec nous aujourd'hui à Bethléem. Cette année, il a été plus simple pour eux d’obtenir la possibilité de célébrer avec nous. C'est un signe positif, petit, mais important, et dont je suis reconnaissant. Mais venons-en maintenant à Noël et à la célébration de ce merveilleux mystère.
La naissance de Jésus-Christ dans la crèche de Bethléem a changé l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui, elle a aussi le pouvoir de changer nos vies et d'ouvrir de nouvelles perspectives, et ce même là où l'obscurité semble trop forte. Comment est-ce possible ?
Pour vivre Noël, il est nécessaire d'entendre la voix de Dieu.
Pour rencontrer Jésus, aujourd'hui comme hier, nous devons nous laisser guider par la voix de Ses témoins, de Ses messagers. Regardez dans l'Évangile : beaucoup de voix parlent de Jésus, mais toutes ne conduisent pas à Lui. Nous devons savoir identifier la bonne voix afin de pouvoir atteindre la joie de Noël. Marie de Nazareth a entendu la voix de l'ange lors de l’Annonciation et a accueilli Jésus (Lc 1, 26-38). Et après elle, c’est Joseph qui a lui aussi obéi à la voix de l'ange en surmontant ses propres peurs (Mt 1, 20-22). Ce sont eux qui ont rendu possible l'œuvre du salut. Et tout comme les Mages, Siméon et Anne et bien d'autres encore, les bergers (Lc 2, 8) sont également des témoins qui ont accueilli l'annonce des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu'Il aime » (Lc 2,14).
Dans le récit évangélique, cependant, nous rencontrons aussi des personnages tels qu'Hérode, effrayé par la nouvelle de la naissance d'un nouveau roi (Mt 2, 2-3). Nous entendons parler des sages de Jérusalem, qui connaissaient les prophéties sur Jésus, mais qui ne savaient pas comment les recevoir et les accepter (Mt 2, 4-5). Nous avons également la tragédie du massacre des Innocents... Bref, nous avons aussi des exemples contraires, qui rejettent la voix des témoins et refusent finalement d’accueillir le Christ. Nous devons donc être capables de discerner quelles voix écouter, si nous voulons vraiment reconnaître le « Sauveur, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2, 11).
Pour trouver Jésus, il est nécessaire de faire confiance à quelqu'un qui Le connaît et qui nous aidera à L'approcher. Ecouter un témoin crédible nous permet aussi de voir les choses d'une manière nouvelle, en nous ouvrant à une lecture différente de la réalité. Pour pouvoir écouter, nous avons besoin d'un cœur de chair, d’un cœur docile, qui accepte de se laisser blesser par l'autre. Nous avons besoin d'un cœur qui sache aimer. Aujourd'hui, nous aussi, comme Marie, Joseph, les bergers et les Mages, nous sommes réunis autour de la crèche de Bethléem pour célébrer le Noël de Jésus-Christ notre Seigneur et Maître.
Je voudrais que nous nous interrogions maintenant sur ces voix qui occupent ou libèrent nos vies, ces voix qui dirigent notre pensée et notre action, en tant qu'individus et en tant que société civile. Quelles sont-elles ? Quelles sont les paroles qui résonnent dans le cœur de nos jeunes, dans nos familles, dans nos foyers ? En cette période d'urgence sanitaire et d'urgence politique prolongée, de nombreuses voix différentes se font entendre au sein des familles : certaines détruisent la confiance, étouffent l'espoir, éteignent l'amour ; d'autres, en revanche, sont plus encourageantes, sont capables de vision et d'avenir. Quels sont les témoins que nous entendons aujourd'hui ? Au cours de cette dernière année, dans le contexte des crises anciennes et nouvelles que nous avons subies et subissons toujours, quelle voix avons-nous suivie ?
Il ne s'agit pas d'une question rhétorique. Dans cette pléthore d'annonces, de déclarations et de prophéties modernes, qui arrivent par des nombreux médias, nous devons chercher et trouver la voix qui nous conduit à Jésus et au salut, qui ouvre les cœurs à l'espérance. Dans notre propre vie, nous avons besoin de témoins dignes de confiance qui nous aident à trouver le chemin qui mène à Bethléem, qui nous encouragent à regarder l'avenir avec confiance, qui savent reconnaître et nous permettent d’identifier le bien qui grandit, et pas seulement le mal et la douleur, qui sont également présents, mais qui ne peuvent pas être notre seule approche pour évaluer la situation actuelle. Ce serait faire preuve d’un manque de foi que de nous limiter à dénoncer le mal sans nous engager, sans projeter et ni construire avec espoir un avenir de bien. La foi et l'espérance ne peuvent être séparées : elles sont complémentaires l'une de l'autre. Demandons-nous si nous faisons partie de ceux qui sont paralysés par la peur, ou si nous avons plutôt laissé la place à la voix de l'Esprit, qui ouvre toujours notre être à de nouveaux horizons. À quels témoins avons-nous accordé notre confiance ? Parce que, après tout, c'est ce dont nous avons besoin : rétablir la confiance entre nous, la confiance en l'avenir, notre avenir et celui de nos enfants, la confiance dans la possibilité d'un changement pour le mieux, tant dans la vie civile que dans l'Eglise.
Car le premier de tous les témoins, en effet, est l'Eglise. C’est elle que nous devons avant tout interroger. Nous devons regarder notre réalité à travers elle, c'est-à-dire à travers les yeux de ceux qui gardent et témoignent du Don du salut dans le monde. Quelles voix ont donc résonné dans notre diocèse du Patriarcat latin de Jérusalem ? Quelles sont celles que nous voulons faire résonner dans nos cœurs ? Sont-elles les voix de l'espérance qui naît à Bethléem ? Est-ce la voix d'une intuition si puissante qu'elle peut voir au-delà du mal annoncé et nous faire reconnaître l'œuvre de Dieu au milieu de nous ?
Je pense tout d'abord à la voix qui a résonné à Chypre, celle du pape François lors de sa visite dans cette partie de notre diocèse. En raison de conflits politiques et religieux, l'île de Chypre est un pays également séparé par des murs, et marqué par des blessures de plusieurs décennies. Elle rassemble en elle-même les contradictions qui agitent la Méditerranée, où se concentrent les luttes de pouvoir et les intérêts énormes pour les sources d'énergie, mais aussi la tragédie de milliers de réfugiés, fuyant les guerres et la misère, et qui trouvent refuge sur l'île tout en restant sans perspectives pour leur avenir. Le pape François nous a rappelé la définition de la patience, qui ne signifie pas rester inerte, mais être disponible à l'action imprévisible de l'Esprit Saint, utiliser notre temps pour apprécier l'écoute, et accueillir ceux qui ne sont pas comme nous. Ecouter – dit le pape François – signifie accorder une place à l'autre ; en faisant cela, nous accueillons Jésus. Il s'agit d'une importante indication de méthode à suivre pour toute notre Eglise de Jérusalem, initiée dans le parcours synodal voulu par le Pape lui-même, et qui a précisément comme thème fondateur l'écoute et la connaissance de l'autre.
Même en Jordanie, où l'on célèbre cette année le centenaire de la fondation du Royaume hachémite, les voix ne manquent pas pour s'inquiéter de la situation économique difficile, aggravée par la pandémie et les conflits régionaux qui ont amené des millions de nouveaux réfugiés dans le Royaume. Et malgré tout, cet Etat, pourtant marqué par tant de difficultés, enseigne encore aux pays du premier monde ce que signifient les mots solidarité et accueil. En ces temps de sectarisme politique et religieux, la Jordanie ne craint pas de s'engager dans le dialogue religieux et politique, et projette ainsi son avenir. Que ce Noël soit donc aussi un Noël d'espoir et de réconfort pour notre Eglise jordanienne, afin qu'elle puisse continuer à écouter la voix de l'Esprit sans craindre l'avenir, et qu’elle reste ouverte et accueillante, vivante et pleine d'initiatives religieuses, pastorales et sociales.
Les voix discordantes ne manquent pas non plus en Israël. Des voix inquiétantes, marquées par les divisions croissantes que connaît notre société, se sont fait entendre en mai dernier, lors d'un nouveau conflit avec Gaza. Je dis cela surtout en référence à la crise de confiance entre Arabes et Juifs, tous deux citoyens, tous deux habitants des mêmes villes. Cela nous rappelle qu'une approche passive de la coexistence n'est pas suffisante. La coexistence doit être encouragée. Elle est toujours le résultat d'un désir sincère et réel, qui se construit concrètement. Apprendre et promouvoir l'écoute et contribuer à reconnaître et à promouvoir les voix qui parlent de communion, d'accueil et de respect, dans toutes les différentes sphères de la société, est aussi notre mission, celle de l’Eglise. Dans le pays, les voix d’individus, de mouvements, d'associations engagés dans la promotion de la coexistence, du respect et de l'accueil mutuel sont multiples. Noël, c'est aussi reconnaître et apprécier ceux qui savent voir l'autre comme un don de Dieu.
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas penser à notre Palestine, le pays dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Que pouvons-nous dire de ce pays, toujours en attente d'un avenir de paix qui semble ne jamais arriver ? Le cri de douleur de ce peuple est un cri fort et assourdissant. Car ce peuple est un peuple qui a besoin de connaître la justice, de goûter la liberté, un peuple qui est fatigué d'attendre de pouvoir vivre librement et dignement sur sa propre terre et dans sa propre maison, un peuple qui ne veut pas vivre uniquement grâce aux permis qui sont maintenant nécessaires pour entrer, sortir, travailler... Ce qu'il faut, ce ne sont pas des concessions, mais des droits. Ainsi que la fin de ces années d'occupation et de violence, et de toutes leurs conséquences dramatiques sur la vie de chaque individu et de la communauté en général. Ce qu’il faut, c’est créer de nouvelles relations dans lesquelles règne non pas la méfiance mais la confiance mutuelle. Les conséquences de cette situation épuisante sont ressenties partout. Il semblerait donc que les voix à entendre soient celles du ressentiment, des préjugés, de l'incompréhension, de la suspicion, de la peur et de la lassitude, qui malheureusement font souvent surface dans nos discours et trouvent place dans de nombreux cœurs. Mais il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi ! Un chrétien ne peut pas se le permettre !
Je dois dire qu'en rencontrant les gens de nos communautés, j'ai beaucoup appris. J'ai appris en quoi consiste concrètement le mot « résilience ». En visitant notre communauté à Gaza il y a quelques jours, j'ai appris, en effet, que même dans les situations les plus difficiles, les plus problématiques, on peut faire une place à l'amour, à la solidarité et à la joie. J'ai rencontré des gens qui savent être actifs et constructifs et qui, bien que conscients des énormes difficultés qu’ils vivent au quotidien, ne cessent de croire que quelque chose de beau est possible pour eux-mêmes et pour les autres, sans cultiver des sentiments de haine et de rancœur. Je suis convaincu que ce sont eux qui construisent concrètement le Royaume de Dieu parmi nous et que chaque jour, et pas seulement aujourd'hui, ils vivent le véritable esprit de Noël : en faisant de la place en eux pour la véritable Source de vie et étant eux-mêmes remplis de cette vie.
À travers l'Eglise, nous avons remis en question notre vie civile. Nous voudrions conclure en nous adressant directement à vous, à l'Eglise, et en vous posant la question que nous avons posée au début de cette réflexion : comment et où entendons-nous la voix de Dieu aujourd'hui ? Dans notre monde déchiré et divisé, un Enfant né il y a deux mille ans peut-Il vraiment apporter la paix aujourd'hui ? La réponse de l'Eglise est toujours la même, et pourtant toujours nouvelle : elle nous annonce que le salut passe précisément par cet Enfant innocent et sans défense, et que oui, l'Omnipotence se manifeste précisément sous cette forme fragile et faible. L'Eglise nous enseigne tous les jours, à travers les Sacrements, que sans ce regard qui sait aller au-delà du signe, des apparences, du temps et de la mort, nous ne saurons pas vraiment lire la réalité de notre monde. Certes, le mal ne cesse de sévir sur la vie des plus faibles et des plus démunis, mais le chemin de la paix est tracé, et c'est encore notre chemin aujourd'hui. Dans cet Enfant se trouve l'Amour qui entre dans le monde, qui demeure dans chaque moment de l'histoire, qui est une aventure sans fin et qui peut vraiment tout changer. L'Eglise nous invite aujourd'hui encore à reconnaître ce mystère qui continue à se manifester parmi nous : à Chypre, en Jordanie, en Israël, en Palestine et dans le monde entier.
Nous avons commencé par dire que pour vivre Noël, il est nécessaire d'entendre la voix de Dieu. Nous concluons en ajoutant que cette voix attend ceux qui l'entendent, et qu’elle attend une réponse personnelle. Noël est un appel personnel pour chacun d’entre nous ici aujourd'hui, comme pour tout croyant dans le monde. C'est un appel pour les jeunes, pour les familles, pour les personnes âgées, pour les travailleurs, pour les malades, pour les prisonniers, pour les chefs de gouvernement. Entendre la voix du Seigneur, c’est le reconnaître et l'accueillir dans chaque petit du Royaume que nous rencontrons sur notre chemin ! Il appelle aujourd'hui encore chacun de nous à accueillir sa voix comme l'a fait la Vierge Marie. Elle a reçu un message et a répondu ; sa réponse a apporté la Vie au monde. Comme hier, comme aujourd'hui, Dieu n'agit pas seulement directement dans le monde, mais il le fait aussi par notre participation.
À Gaza, j'ai rencontré des personnes qui ont fait exactement cela : elles ont écouté et dit oui au Seigneur. Certains d'entre eux ont fondé des familles, d'autres ont répondu à une vocation religieuse, mais tous se sont consacrés à servir le Seigneur et les autres avec joie. Comme la réponse de Marie, leurs réponses à la voix de Dieu sont une source de vie pour beaucoup d'autres. Grâce à l'Esprit Saint, nous aussi, comme la Vierge Marie et Saint Joseph, comme les bergers et comme les Mages, nous pouvons donner notre humble réponse à Jésus, nous pouvons trouver en Lui le sens de notre action. Car nous sommes témoins que lorsque Jésus est au centre de notre vie, la terre reçoit la Paix. Wulida al Masih ! Alléluia !
Bethlehem, 24 décembre 2021
† Pierbattista Pizzaballa
Patriarche latin de Jérusalem