Le 9 octobre 1862, mourait prématurément, dans la Ville Sainte, un des premiers missronnaues du Patriarcat latin de Jérusalem, D. Pierre Cotta, fondateur de la Mission de Ramallah.
Né à Briglio, dans le diocèse de Nice (France), en 1814, il accomplit ses études ecclésiastiques au séminaire de Nice et y reçut l'ordination sacerdotale. Après quelques années de ministère dans son diocèse d'origine, il résolut de devenir missionnaire.
En 1849-1850, un an après la restauration du siège patriarcal de Jérusalem, S.B. Mgr Valerga, premier Patriarche, entreprit un grand voyage à Constantinople et en Europe. Il parcourut surtout la France et l'Italie, en quête de prêtres volontaires désireux de se consacrer à l'apostolat missionnaire en Terre Sainte.
C'est très probablement à cette occasion que D. Cotta entendit parler pour la première fois du Patriarcat de Jérusalem et qu'il forma la résolution de se faire agréger au clergé du nouveau diocèse.
En tout cas, c'est dans la seconde moitié de l'année 1852 qu'il arriva à Jérusalem. Il ne trouva au Patriarcat que quelques rares missionnaires étrangers récemment arrivés. Les premiers séminaristes indigènes étaient toujours au Séminaire dirigé par les Pères Jésuites à Ghazir (Liban). Aucune mission n'avait encore été fondée. D. Cotta profita sans doute des premiers mois de son séjour dans la Ville Sainte pour entamer l'étude de la langue arabe qui lui serait indispensable pour l'accomplissement de son ministère apostolique.
Procureur du Séminaire
Au mois d'octobre 1852, Mgr Valerga résolut de mettre en exécution le plan très hardi qu'il avait conçu d'ouvrir son propre séminaire à Jérusalem. La Providence lui avait envoyé entre-temps plusieurs prêtres qui étaient disposés à l'aider : son propre frère cadet, le RP. Léonard de St. Joseph, religieux carme ; le RP. Eugène Tommasi, oratorien ; l'abbé Théophane Dequevauviller, qui devait ensuite devenir son chancelier ; l'abbé Pierre Cotta, niçois, et l'abbé Barthélemy Cardito, prêtre napolitain, qui serait devenu dans la suite le fondateur de la mission de Gif.
Pour le moment, Mgr Valerga affecta tous ces prêtres à son séminaire qu'il venait d'installer provisoirement dans sa propre résidence. D. Cotta se vit confier une partie de l'enseignement, en même temps que la procureure du Séminaire et du Patriarcat. Il gardera ces charges plus de quatre ans, à 1e satisfaction générale, jusqu'au moment de sa nomination à premier curé de Ramallah (1857).
Blessé à Beit Jala
Le 25 octobre 1853, Mgr Valerga, accédant aux demandes pressantes et réitérées de plusieurs familles orthodoxes et de quelques familles catholiques qui habitaient dans le village de Beit Jala, près de Bethléem, installa dans ce village son premier missionnaire. C'était un jeune prêtre Lyonnais, âgé de 37 ans, plein de courage et d'énergie, l'abbé Jean Morétain.
L'arrivée de l'abbé Morétain à Beit Jala fit sensation. La présence d'un missionnaire latin dans ce village, qui était considéré un fief de l'orthodoxie, fut considérée comme une provocation qui immédiatement ouvrit la porte à une ouverte persécution.
La réaction se déclancha, dans sa forme la plus brutale, dès le soir même de l'arrivée du missionnaire dans le village.
Deux jours après, Mgr Valerga, voyant son missionnaire en butte à la persécution et à la violence, vint à Beit Jala s'établir sous le même toit, pour partager avec son missionnaire toutes ses souffrances. La lutte se poursuivit pendant un mois et demi et eut son point culminant dans un assaut à main armée à la mission, le vendredi 9 décembre 1853.
Cotta venait justement d'arriver ce jour-là de Jérusalem et il fut pris dans la bagarre. Ecoutons D. Morétain nous raconter l'épisode dans ses Mémoires :
« Vers les onze heures, un des chefs vint dans la cour. Monseigneur lui fit dire par son janissaire qu'il eut à évacuer le terrain, ce qu'il fit. Nous pensions que l'affaire était finie et qu'on n'oserait pas faire davantage cette fois que les autres. Monseigneur dit alors à M. le curé de Bethléem (le R.P. Emmanuel Fartez o.f.m.) et au procureur de son séminaire à Jérusalem (D. Cotta) qui venaient d'arriver : « Allons nous promener autour de la maison pour leur faire voir que nous n'avons pas peur. » Dès qu'ils eurent fait quelques pas, ils virent arriver sur eux cinq ou six personnes avec l'air le plus hostile. Monseigneur leur intima l'ordre de ne pas entrer dans la cour de sa maison, ils n'en tinrent aucun compte. Alors s'engagea une espèce de lutte. Le procureur (D. Cotta) reçut deux coups de sabre qu'il para avec la main, laquelle fut blessée et meurtrie. Il fut renversé dans la boue et cassa son bâton sur la tête d'un des assaillants. Le curé de Bethléem eut un doigt disloqué et administra quelques coups de poing aux assaillants. Tous les trois arrivèrent à la maison suivis des attaquants qui poussaient des cris effrayants, appelant leurs partisans. La porte fut fermée. On fit des efforts pour l'enfoncer à coups de hâche, de pierres et de crosses de fusils. Les cris redoublaient, les pierres cassaient les croisées et les vitres. Le bruit des assaillants était extraordinaire ». (Mémoires, p. 75).
On passa alors aux armes à feu. Des coups de fusils partirent soit des assaillants, soit des janissaires qui avaient pris position aux fenêtres. La bataille se termina après quelque temps sans qu'il n'y eut heureusement de tués.
Voyant qu'ils ne pouvaient entrer dans la maison par la force, les assaillants demandèrent à parlementer. Par cette ruse, un des chefs réussit à faire approcher de la maison quelques-uns des siens qui furent très vite maîtres de la porte extérieure et du petit vestibule. Ils abattirent à coups de hache la porte intérieure et entamèrent avec le Patriarche une longue discussion, en réclamant son départ. Mgr Valerga, gardant tout son sang-froid et son énergie, refusa absolument de quitter la maison de son gré. Fatigués de parlementer sans résultat, les assaillants firent mine de recourir à la force.
« L'un d'eux se mettait déjà en devoir de porter la main sur D. Pietro (Cotta), le procureur de la mission, lorsqu'un mouvement brusque de sa part fit comprendre que l'exécution n'était pas si facile qu'on le pensait. » Alors on proposa un moyen terme conçu ainsi. « Le patriarche sortira d'ici et se retirera dans une maison voisine ; le missionnaire restera ici avec les janissaires et les domestiques » (Mémoires, p. 76).
Cette triste affaire ne devait se terminer que deux mois plus tard par le départ volontaire de Mgr Valerga et de son missionnaire. Le 7 février 1854, Mgr Valerga et D. Morétain, accompagnés par M. Botta, consul général de France, quittaient Beit Jala pour se rendre en signe de protestation en exil volontaire à Jaffa, d'où ils règleraient les affaires directement avec Constantinople. Après de longs mois d'activité diplomatique à Paris et Constantinople, Mgr Valerga obtenait gain de cause et rentrait victorieux à Jérusalem, le 24 août 1854. Par son courage et la fermeté de son missionnaire, il avait obtenu définitivement de la Sublime Porte pleine liberté d'action apostolique en Terre Sainte. Désormais, il pourra établir librement ses œuvres non seulement à Beit Jala, mais sur tout le territoire de son Patriarcat.
Mgr Valerga en profita pour exécuter immédiatement à Beit Jala les plans qu'il avait longuement étudiés avec D. Morétain pendant leur séjour à Beit Jala et leurs mois d'exil à Jaffa. Une belle église dédiée à l'Annonciation surgit tout près de la maison où ils avaient tant souffert. Elle était entourée d'un majestueux édifice à deux étages qui devait abriter les œuvres paroissiales et le Séminaire. Dès l'année 1855 les séminaristes purent pendant les grandes vacances passer quelques jours à Beit Jala dans les quelques locaux déjà aménagés. Ce ne sera que le 7 Septembre 1857 que le Séminaire y sera établi définitivement, après un séjour de 5 ans dans la résidence provisoire à Jérusalem.
Naturellement, D. Cotta, en sa qualité de procureur, ne manquait pas d'accompagner les séminaristes à Beit Jala pendant leurs vacances. Il y venait même plus fréquemment et il y faisait des séjours assez prolongés pour aider son confrère D. Morétain dans les travaux de construction et pour s'exercer dans la langue arabe.
C'est justement pendant un de ces séjours à Beit Jala que Mgr Valerga devait l'appeler pour lui confier la fondation de la nouvelle mission de Ramallah.
Fondation de la mission de Ramallah
Le prêtre choisi par Mgr Valerga pour « fonder » la mission de Ramallah était D. Pierre Cotta.
En attendant de pourvoir définitivement au logement du missionnaire, on se contenta au début de lui louer une chambre dans une maison de paysan, dans le quartier des Hadadeh, près de l'endroit où s'élève aujourd'hui la nouvelle mosquée.
C'est là que D. Cotta s'installa aux débuts de 1857. Le logement de D. Cotta à Ramallah était bien primitif. Il consistait en une seule pièce, assez grande d'ailleurs, dans laquelle le missionnaire habitait, réunissait ses fidèles et célébrait la Sainte Messe.
Installation définitive de la mission
Peu de temps après son arrivée, D. Cotta pensa à acheter un lopin de terrain pour y bâtir quelques chambres, mais il fut vite déçu. L'emplacement qu'il avait choisi n'était pas convenable, car il n'y avait pas de rocher solide pour les fondations. Il se tourna alors vers un autre terrain à l'est du village.
Les registres paroissiaux nous montrent que le premier baptême administré par D. Cotta à Ramallah eut lieu le 26 Juillet 1857 et fut celui d'une certaine Heloueh Jacoub Sbédi.
Un mouvement si considérable vers le catholicisme ne pouvait que provoquer une forte réaction de la part des dissidents.
Mort de D. Cotta
Cotta poursuivit courageusement son ministère à Ramallah, deux autres années. Dans le cours de 1862, sa santé commença à décliner. Il fut atteint par une mastoïdite purulente qui le fit beaucoup souffrir. Il dut quitter Ramallah vers le mois de septembre pour être transporté à Jérusalem.
Cotta mourut à Jérusalem le 9 octobre 1862, à l'âge de 48 ans. Il fut enseveli non pas – comme sera le cas de ses confrères dans la suite – dans la crypte de la nouvelle concathédrale qui n'était pas encore achevée, mais dans le cimitère paroissial latin au Mont Sion.
Le zèle et le véritable esprit apostolique de D. Cotta, en 6 ans de travail patient et persévérant, avaient établi sur des solides bases une des plus belles et florissantes missions du diocèse patriarcal de Jérusalem, celle de Ramallah.